Le recycleur : une autre façon de plonger et une réelle philosophie
La plongée en recycleur est très différente de la plongée en circuit ouvert.
Que vous ayez 200 plongées à votre actif (oui il faut quand même être bien à l’aise dans l’eau) ou 10 000, cela n’aura pas la moindre importance.
Dans tous cas, vous devrez tout reprendre depuis le début.
A savoir :
La stabilisation :
La perte du poumon ballast engendre un effort de stabilisation. En circuit ouvert, le plongeur chevronné compense bien souvent le défaut de stabilisation de son gilet par le poumon ballast, et dans bien des cas il le fait instinctivement sans s’en rendre compte.
En recycleur, ce n’est pas possible. C’est dû au volume qui reste constant. En effet, l’air expiré va dans le faux poumon expiratoire, et l’air inspiré vient du faux poumon inspiratoire. Le volume étant toujours le même, on ne peut pas gérer sa flottabilité avec ses poumons.
La perte du poumon ballast est donc un handicap pour les jeunes plongeurs en circuit fermé, si bien que la stabilisation qui est normalement parfaitement acquise ne l’est plus.
Personnellement, il m’a fallu 6 mois à raison d’une plongée par semaine pour maîtriser parfaitement ma stabilisation en recycleur (surtout en tant que photographe où celle-ci doit être parfaite).
De plus, vous n’avez plus un volume à gérer mais 2 :
- Le gilet stabilisateur
- Le volume des faux poumons
- Et même 3 volumes, si vous plongez en étanche.
Si vous évoluez à une profondeur constante, vous n’aurez plus besoin de jouer avec les injecteurs ou les purges pour vous maintenir entre deux eaux.
En revanche, les changements de profondeur auront un impact sur le volume de la boucle.
- Si vous descendez, la pression ambiante va augmenter et vous serez obligé d’injecter du diluant dans la boucle.
- Inversement, si vous remontez, l’augmentation du volume du gaz présent dans la boucle devra être évacué par le nez. De plus, la PPO2 va chuter, ce qui va déclencher le solénoïde et donc l’injection d’O2.
Vous l’aurez compris, cela demande un peu de pratique avant de maîtriser les différents volumes.
La gestion de la plongée:
Et c’est là que la philosophie de la plongée est radicalement différente. En effet, le raisonnement n’est plus du tout le même. En circuit ouvert, la question que l’on se pose est : Combien d’air me reste-t-il dans le bloc ?
En recycleur la question est : Qu’est-ce que je respire ? Le compte à rebours de l’autonomie ne se fait plus ressentir (bien qu’il n’ait pas totalement disparu). On a le temps !!!! Même dans l’espace médian, dans la zone des 30 m – 40 m, on a le temps. Sans parler de plongée TEK qui, à ces profondeurs, donne tout son sens au recycleur.
Le fait d’avoir du temps à ces distances nous permet de redécouvrir des sites que l’on croyait connaitre sur le bout des doigts.
Pourquoi le recycleur optimise la décompression ?
C’est une question que l’on me pose souvent. Pour y répondre il faut avant tout aborder le sujet de la toxicité de l’oxygène et bien comprendre la notion de pression partielle.
L’oxygène est toxique !!!
J’entends souvent dans les reportages télévisés le narrateur parler de bouteille d’oxygène quand des plongeurs sont à l’écran.
C’est totalement faux !
Dans la plupart des cas il s’agit en fait de bouteilles d’air comme celui que vous respirez en ce moment. Ce n’est certainement pas des bouteilles remplies d’oxygène.
Et pour cause !
L’oxygène, élément essentiel à la vie, est paradoxalement toxique à des hautes pressions.
Ce phénomène est principalement dû à l’action des radicaux libres sur le système nerveux central, mais je ne vais pas m’étendre sur le sujet) !
Le corps humain est parfaitement adaptés pour vivre dans notre environnement actuel.
A savoir :
- une pression au niveau de la mer de 1013 Hecto Pascal
- avec une atmosphère (air) composée de 79% d’azote et 20,9% d’oxygène (plus quelque gaz rares).
Pour la suite, on simplifiera la composition de l’air en prenant 80% d’azote et 20% d’oxygène La pression partielle (PP) des différents gaz qui composent l’air au niveau de la mer est de :
- Azote :1bar x 0,80 = 0,8 bar PPN2
- Oxygène :1bar x 0,20 = 0,2 bar PPO2
C’est la loi de DALTON
Ces conditions changent en plongée !
A 10 mètres de profondeur, la pression ambiante est de 2 bar (1 bar de pression atmosphérique + 1 bar de pression de la colonne d’eau).
A 20m elle est de 3 bars, à 30m elle est à 4 bars, et ainsi de suite.
Les pressions partielles évoluent donc suivant la profondeur.
A 10 m on obtient donc :
- Azote :2bar x 0,80 = 1,6 bar PPN2
- Oxygène :2bar x 0,20 = 0,4 bar PPO2
A 20m :
- Azote :3bar x 0,80 = 2,4 bar PPN2
- Oxygène :3bar x 0,20 = 0,6 bar PPO2
Il faut savoir que les pressions partielles de l’azote (PPN2) et de l’oxygène (PPO2) ont des seuils critiques à ne pas dépasser.
La PPO2 max est fixée à 1,6 bar (la durée d’exposition y est aussi limitée) et la PPN2 (qui induit la narcose) est quant à elle de 5 bar.
En respirant dans son détendeur à une profondeur de 10 m, on inspire de l’air à une pression de 2 bar. Notre métabolisme consomme l’oxygène.
L’azote est quant à lui diffusé dans l’organisme pour que ce dernier soit en équilibre (équi-pression) avec la pression ambiante.
A la remontée, l’azote en supplément présent dans l’organisme doit s’évacuer pour conserver l’équilibre. C’est la raison des paliers de décompression.
En recycleur, la PPO2 est gérée par la machine.
Généralement elle est réglée à 1,3 bar et cela quel que soit la profondeur d’évolution. On a donc une modification de la composition du gaz en fonction de la profondeur.
Voici un tableau comparatif du gaz respiré en recycleur (à une PPO2 fixe de 1,3 bar) par rapport à une plongée à l’air en circuit ouvert :
On remarque qu’en circuit ouvert, la proportion des gaz reste la même quel que soit la profondeur. Phénomène on ne peut plus qui est normal, car sa composition ne change pas.
Seule la pression varie.
En revanche, en recycleur, la composition du gaz évolue par rapport à la profondeur.
La proportion d’oxygène par rapport à l’azote n’est plus constante.
On a donc un Nitrox évolutif.
Le gaz respiré est ainsi optimisé en fonction de la profondeur. On constate qu’il y a moins d’azote dans le mélange du recycleur. L’organisme sature moins, les paliers de décompression sont donc réduits.
Remarque
A 50 m de profondeur, le mélange respiré a quasiment la même composition que l’air. Cela induit la profondeur maximale de plongée en recycleur avec un diluant air. Cette limite est due à deux phénomènes.
- la viscosité de l’air : plus on plonge profond, plus l’air est dense et difficile à respirer.
- la narcose : en dessous de 60 m, le recycleur va toujours maintenir une PPO2 à 1,3 bar. Mais la PPN2 va continuer à augmenter. Le mélange respiré sera très narcotique du fait de la forte proportion d’azote.
La plongée en recycleur est-elle plus dangereuse que la plongée en circuit ouvert ?
A cette question j’ai envie de répondre oui … et non !
Certes, il y a plus de technologie dans un recycleur. Plus d’électronique, plus de joint, un circuit étanche…. Donc plus de sources de panne comparé à la plongée CO.
Nous avons cependant toujours une ou plusieurs bouteilles de secours.
Héhé, pas fous les gars !
D’un autre côté, le gaz respiré est optimisé pour la décompression. On minimise ainsi les risques d’accident de décompression.
Il est donc difficile de peser le pour et le contre.
Le danger, selon moi, vient plus de la façon dont on plonge. Et cela, que ce soit en CO ou CC.
Gardez un esprit critique sur votre recycleur !
Le recycleur est la machine qui vous maintient en vie. Mais c’est aussi celle qui peut vous tuer.
C’est particulièrement vrai et la loi de Murphy ne me contredira pas : « Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal. ».
En d’autres termes, faites-en sorte que votre plongée se passe bien.
Et pour qu’elle se passe bien, respectez certains impératifs.
- Le danger en recycleur, c’est de se décharger entièrement sur sa machine. Il est donc primordial d’avoir une bonne formation initiale pour savoir comment réagir face aux différentes pannes envisageables (les fameux « What if »)
- Le montage de la machine: les différents tests et check doivent être systématiques avant chaque plongée. Aussi, la planification de cette dite plongée ne doit jamais être bâclée. Ce sont des automatismes à acquérir, de la planification, de la préparation à la plongée. D’où l’importance de plonger régulièrement en recycleur. L’erreur serait de faire une formation sans acheter un recycleur et ne pas plonger en CCR par la suite.
- L’entretien de son matériel avec minutie est une règle d’or (ça l’est aussi pour du CO mais encore plus en CC). Si la panne intervient avant la plongée, il faut la réparer tout de suite ou annuler la plongée.
- Ne jamais plonger avec une machine défaillante : l’ensemble des tests doivent être réalisés avant la plongée, au calme et si possible sans interruption.
Evitez toutes distractions pendant ces moments cruciaux.
- Toujours connaitre sa PPO2 : Cela semble évident, mais dans les fais cela n’est pas si simple par moment, surtout pour les photographes comme moi qui ont souvent l’attention portée sur le viseur de l’appareil photo. Il faut toujours garder à l’esprit qu’à tout moment la PPO2 peut changer et atteindre des seuils dangereux. Attention aussi à la durée de vie des cellules qui analysent la PPO2. C’est le gros point faible des recycleurs.
- Prendre soin de ses bail out, vérifier les gaz, les détendeurs et avoir les quantités suffisantes pour regagner la surface en effectuant tous les paliers de décompression. Il faut donc préparer et planifier sa plongée !
Quand passer au recycleur ?
En France, la législation impose d’être niveau 3 et Nitrox confirmé pour commencer la formation.
C’est vraiment le strict minimum à mon sens.
Pour envisager de plonger en circuit fermé, il faut avant tout :
- être parfaitement à l’aise sous l’eau
- être un passionné de la plongée, de technique (je ne parle pas encore de plongée tek, mais de technique au sens propre du terme)
- aimer son matériel, l’entretenir et en prendre soin
- être rigoureux et méthodique. Si le simple fait de gréer votre bloc est pour vous une corvée, n’essayez même pas le recycleur.
Plonger en recycleur n’est pas un hasard
Vous l’aurez compris, pour plonger en recycleur il faut avant tout être un passionné, un passionné confirmé !
Si vous êtes un jeune photographe sous-marin, n’envisagez pas de passer au recycleur tant que vous n’êtes pas parfaitement à l’aise dans l’eau avec un appareil photo dans les mains.
La gestion d’un recycleur demande plus d’attention et de pratique que la plongée en circuit ouvert.
Conclusion : bref, je suis un plongeur recycleur
Cela fait maintenant 4 ans que je plonge en circuit fermé, et pour rien au monde je reviendrais en circuit ouvert.
Outre les avantages qu’apportent ce genre de machine, j’ai toujours été attiré par cette technologie et l’aspect technique de la plongée.
Ça me plait et je suis vraiment enthousiaste rien qu’a l’idée de préparer ma machine pour une plongée.
C’est une véritable passion et je pense que ça doit être la principale motivation pour plonger en recycleur.
Bien sûr étant photographe sous-marin, j’ai d’autres intérêts à plonger sans bulles.
L’approche des animaux n’est pas du tout la même.
Certains poissons sont toujours aussi craintifs à la vue des plongeurs, mais le plus souvent ils vous ignorent ou alors ils sont curieux et viennent vous voir.
J’ai aussi pu voir des comportements que je n’avais jamais vu en circuit ouvert et dont je n’aurais jamais pu être témoin autrement.
Posez-vous sur le fond sableux, entre deux patates de corail, et en moins de 5 minutes vous deviendrez comme invisible.
La vraie vie du récif s’offrira à vous.
L’exploration de la zone des 40 / 50 m prend aussi une autre dimension. La pression du temps étant moins forte, on prend plus le temps de se poser, d’observer, de contempler.
Et puis bien sûr, la plongée profonde, en dessous des 60 m au Trimix est aussi l’un des points forts du recycleur, mais ce sera l’objet d’un autre article.
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