La passion au service de la Science !

La passion au service de la Science !

L’enthousiasme de cette collaboration naissante fut partagé tant par nous, plongeurs, que par ces hommes de sciences autour d’une passion commune : le monde sous-marin.


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En profondeur dans une grotte à l’intérieur du récif. Photo prise à plus de 70 mètres de profondeur.

L’exploration de ces zones encore inconnues et l’envie de partager ce que nous découvrons avec les personnes compétentes pour étudier et exploiter ces informations nous ont tout naturellement amené à entrer en contact avec le Professeur Bernard A. THOMASSIN. Directeur de recherche honoraire CNRS du Centre d’Océanologie de Marseille (l’ex-COM) de l’Université d’Aix-Marseille (AMU), attaché scientifique du Musée d’Histoire Naturelle de la ville de Nice et grand connaisseur du lagon et des récifs coralliens deMayotte (depuis les années 1977-83), entre autres, et qui avait déjà exploré ces pentes profondes jusqu’à -450 m de profondeur, avec une mission allemande duGEOMAR de Kiel, dès la fin 1991.Il ne fait aucun doute que c’est « une des personnes les moins ignorantes » du lagon et des récifs de Mayotte, comme il se définit lui-même. Tout de suite, il nous met en contact avec d’autres scientifiques spécialistes de ces communautés profondes, dont son ami de longue date, le Professeur Michel PICHON. Après un début de carrière dans le Sud-Ouest de l’Océan Indien, celui-ci a été successivement professeur de Biologie marine à l’UniversitéJames Cook, puis Directeur Adjoint de l’Institut Australien des Sciences de la Mer (AIMS), à Townsville (Australie). M. PICHON, après avoir étudié les peuplements coralliens plus superficiels à Madagascar, sur la Grande Barrière d’Australie, en Polynésie française, en Mer Rouge et GolfePersique, mène depuis plusieurs années une étude sur les coraux« récifaux » (symbiotiques) des pentes externes profondes, ou zone dite « mésophotique » : 40 à 150 m en moyenne, sujet sur lequel il travaille actuellement, non seulement sur la Grande Barrière et la mer de Corail, mais aussi en Polynésie (Programme «Deephope» en partenariat avec les expéditions «Under the Pôle»), Israel (Eilat) et au Japon (Okinawa). Et tout récemment: Mayotte.

L’enthousiasme de cette collaboration naissante fut partagé tant par nous, plongeurs, que par ces hommes de sciences autour d’une passion commune : le monde sous-marin. Les données que nous leurs transmettrons aux travers de nos photos d’ambiance ou macroscopiques des organismes rencontrés, de nos prélèvements ciblés, sont extrêmement précieuses du fait même de leur rareté et de leur fiabilité. De notre côté, l’aspect scientifique de nos plongées et de nos découvertes renforce notre soif d’exploration et donne encore plus de sens à ce que nous faisons.

Tout récemment, en Août de cette année, nous sommes contactés par Thierry MULOCHAU pour nous convier à intégrer son programme « MesoMay ». Thierry est biologiste marin et directeur du bureau d’études BIORECIF à La Réunion, co-fondateur de l’Aquarium de La Réunion, expert faunistique en échinodermes et poissons récifaux, participant à la découverte de plusieurs espèces de poissons lors de l’éruption volcanique de 2007 à La Réunion et lors de l’expédition Abyssea de 2008. T. Mulochau et Patrick Durville, expert en poissons profonds, travaillent ensemble sur le programme MesoMay et prospectent les zones mésophotiques du sud-ouest de l’océan Indien depuis plusieurs années. Le programme MésoMay a pour objectif de réaliser un premier inventaire faunistique non exhaustif de certains sites situés dans la zone mésophotique à Mayotte. Le cercle des scientifiques avec lesquels nous collaborons s’élargit donc un peu plus.

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Photo prise à 70 mètres de profondeur. Je me trouve au depart de la voute du second tombant. A une dizaine de mètres en dessous des mes palmes ce trouve le pied du second tombant. A droite de la photo, on remarque la cavité, creuser il y a des milliers d’années, par les vagues quand le niveau des océans était 80 mètres plus bas. Ce type de formation est typique du second tombant.


Les sciences participatives, une nécessité ?

Mais alors, sur quoi devons-nous nous focaliser ? Qu’est ce qui intéresse le plus ces scientifiques ? Quelles données peuvent être les plus utiles pour la Science et l’étude de ces milieux ? C’est l’une des premières questions que nous avons posé à ces personnes. La réponse fut directe et spontanée :

 On prend tout !!! Toutes les données que vous pourrez remonter nous seront utiles.



– Messieurs, pourquoi avoir recourt à la science participative ?

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Plongeur recycleur trimix remontant d’une plongée à 120 mètres.

Prof. B.A. Thomassin

La « Science participative » permet de conjuguer tous les efforts et compétences d’acteurs de diverses origines et de professions très différentes dans la « quête des Connaissances ». Les milieux marins qui couvrent les 4/5ème de la planète Terre sont encore bien méconnus, des scientifiques et du Grand Public. Que ce soient : – les récifs coralliens vivant en eaux claires et turquoises (du fait de particules calcaires en suspension) des eaux tropicales, d’où d’ailleurs des adaptations à ces eaux pauvres en sels nutritifs ou oligotrophiques, mais où l’éclairement solaire excessif est aussi un danger (les coraux de la surface se protègent eux aussi des « coups de soleil ») ; – les peuplements récifaux vivant en eaux turbides et en milieux vaseux dans certains lagons ou proches d’estuaires (car certains coraux tolèrent très bien un lent envasement…) ; – les peuplements coralliens vivant dans des eaux sombres des pentes externes profondes ou des grottes sous-marines, voire même totalement obscures, tels les récifs de coraux des eaux froides et profondes (de400 à 750 m de profondeur), tous sont encore plus ou moins inconnus, et/ou bien les éthologies et les physiologies du bios animal, mais aussi végétal (des algues encroûtantes), voire microbien, qui les peuple, ne sont pas encore comprises. Le champ des découvertes restant à faire est si vaste !

Prof. M. Pichon

La science participative rassemble autour de pôles d’intérêt commun, les scientifiques spécialistes dans des domaines particuliers et le grand public. D’une part les scientifiques sentent de plus en plus le devoir non seulement de faire progresser les connaissances, mais de les communiquer de façon aussi didactique que possible à un auditoire le plus large possible; d’autre part le grand public, est de mieux en mieux informé. Grâce à l’efficacité des media modernes, des avancées et de l’intérêt des études scientifiques et de l’importance de leurs retombées dans la vie de tous les jours et est de plus en plus demandeur. La synergie entre ces deux groupes d’acteurs est donc typiquement une situation de « gagnant-gagnant .

Th. Mulochau

La science participative permet de contribuer à faire avancer la connaissance, notamment en matière d’inventaires faunistiques. Les récifs coralliens, remarquables par leur richesse en nombre d’espèces, nécessitent des moyens conséquents pour pouvoir être étudiés. La science participative, avec des associations notamment et le nombre important de personnes pouvant être impliqué sur certaines études, permet de faire progresser la connaissance sans que des budgets importants soient nécessaires. La science participative permet également à travers des associations la vulgarisation de l’information scientifique afin de la communiquer le plus largement possible.


En quoi nos immersions peuvent représenter un intérêt à vos recherches ?

Prof. B.A. Thomassin

 Les « plongeurs de l’extrême », comme je les nomme amicalement, nous sont absolument nécessaires pour être d’abord « nos yeux », puis « nos mains » si nécessaire, pour découvrir des fonds auxquels, nous les humains, n’avons pas accès si facilement. Être libre dans l’eau comme le plongeur, voir, observer de plus près, photographier pour montrer aux« terriens » ou/et se souvenir pour soi-même, prélever si nécessaire à la demande des scientifiques spécialistes, c’est beaucoup mieux que d’être observateur dans la bulle d’un sous-marin de poche comme « Jago »,même si le spectacle devant nous est féérique et enthousiasment à plus d’un titre, que d’être préleveur, souvent maladroit, avec une suçeuse ou une pince télécommandées, installées à l’extérieur de ce sous-marin. Mais l’utilisation des sous-marins d’exploration, même les plus mobiles et performants, nécessite des navires de surface adaptés, ayant de larges ponts, des grues de mise à l’eau ad hoc, un système de communication performant avec le sous-marin par radio-acoustique, un ou des systèmes de repérage et positionnement performants (les positions GPS aériennes n’étant plus possibles sous l’eau, sauf avec des dispositifs particuliers, très onéreux). Ce n’est plus de la plongée profonde et mobile à partir d’embarcations légères passant presque partout (type grosse vedette pneumatique motorisée de plongées), mais une véritable expédition avec un navire océanographique(généralement de plus de 25 m de long) moins manœuvrant près des déferlements et ressacs, et dont le coût atteint vite le million d’euros et plus. Quant aux drones sous-marins (ROV), certes leurs prix sont en baisse même si leurs optiques sont bonnes ; mais les plus performants (ROV Achille de la COMEX par exemple) sont assez onéreux à l’achat et/ou à la location, très lourds et nécessitant déjà une bonne potence de mise à l’eau sur la vedette accompagnatrice, ont l’inconvénient d’être tributaire d’un ombilic les reliant au bateau de surface ce qui rend l’ensemble peu manœuvrant dans des vagues et houles levées, surtout devant un front récifal avec déferlements, ou encore dans des zones de forts courants (parfois inversés selon les profondeurs) sur les pentes récifales externes), de plus, nécessite des positionnement avec pingers connectés à des dispositifs de surface de type DGPS.

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Les voutes des cavités sont tapissées d’organismes vivant. Certain ont la forme de dentelle,. Les éponges de différentes couleurs forment une mosaique qui n’a rien à envier à celle que peut créer l’Homme. 

Prof. M. Pichon

La plongée technique est la méthode de choix pour la découverte, l’exploration et l’étude des milieux coralliens mésophotiques, typiquement difficiles d’accès : les premières études par dragages, donc « en aveugle » étaient notoirement imprécises quant aux profondeurs de collecte. Et trainer une drague ou un chalut derrière un bateau, au voisinage du déferlement n’est pas sans risques !. Les petits sous-marins de recherche (Yomiyuri, Géo puis Jago, SP 350, Makali’i et autres) ont certes fait la preuve de leur utilité, mais les profondeurs des assemblages coralliens mésophotiques ne correspondent qu’imparfaitement à leur profondeur opérationnelle optimale. Par ailleurs. outre leur coût d’utilisation, leur mise en œuvre demande un minimum de logistique, et leurs moyens de prélèvement sont limités et peu efficaces. En ce qui concerne ce dernier point, la même remarque peut être faite concernant les drones sous-marins (ROVs, et AUV.s). La plongée technique est donc la technique de choix pour l’exploration et l’étude des milieux mésophotiques : RIEN ne peut remplacer actuellement l’œil et la main du plongeur averti !

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Malgres le peu de lumière, certain coraux vivent dans la zone crépusculaire. Celui ci fut photographié à 78 mètres de profondeur.

Th. Mulochau

En 2018, les plongeurs sont encore les plus performants pour observer, photographier et prélever si nécessaire. Ce ne sera vraisemblablement plus le cas dans quelques années car l’imagerie et l’ingénierie ont fait d’énormes progrès ces dernières années. La plongée reste encore le moyen le plus performant pour explorer et étudier le milieu sous marin notamment dans la zone mésophotique.

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Une magnifique petite crevette sur un corail mou de la zone mésophotique.

Comment analysez-vous les données que nous vous transmettons ?

Prof. B.A. Thomassin

Les observations faites par nos« plongeurs de l’extrême » doivent dans un tout 1ertemps restituées dans le contexte de nos connaissances déjà acquises : d’une part, les levés topographiques et bathymétriques « officiels »du S.H.O.M. et des « minutes » enregistrée, nos propres relevés géomorphologiques et bathymétriques (même si ceux-ci ne sont pas facilement pris en considération par le S.H.O.M.), nos propres observations et prélèvements réalisés lors de missions précédentes, lors des quelques plongées profondes jusqu’à -60 et même – 80 m faites « à l’air » (quand nous étions plus jeunes, 30-40 ans, et que les tables et ordinateurs de plongé en ’étaient pas aussi « drastiques ou pénalisants » qu’aujourd’hui (exemple des tables COMEX en 1969 : 30 min à 30 m, pas de palier nécessaire !!). Ces relevés géomorphologiques faites par nos plongeurs doivent aussi être confrontées avec nos données connues. D’une part, celles issues des forages faits dans une des barrières récifales de Mayotte et qui nous ont indiqué les différents stades et âges du « mille-feuille » que représentent les différentes strates empilées de la construction d’un récif corallien ; la barrière récifale du Sud de Mayotte, de près de 200 m de hauteur, a probablement un âge de près de 2 millions d’années à sa base et elle est formée d’au moins 4 grands systèmes récifaux qui se sont superposés aux cours des âges, le dernier d’âge Holocène n’a que 11-15 m d’épaisseur et il n’a commencé à se construire que depuis 11.000 ans environ par rapport à aujourd’hui !). D’autre part, les données provenant des observations faites (enregistrements des rebords de terrasses, ressauts coralliens fossiles, hauteurs de falaises, niveaux de grottes fossiles, pentes profondes de« ledge-rocks » microbiennes, etc.) et des datations de coraux prélevés lors des plongées en submersible « Jago », qui nous ont permis de savoir, entre autre, que le dernier bas niveau marin de l’Océan était à près de -150 m par rapport à l’actuel, même si l’on sait que l’île s’enfonce légèrement graduellement dans le tréfond de la croûte terrestre et ce bien plus rapidement depuis 6 mois avec « l’essaim de séismes » se produisant à40-50 km plus à l’Est de l’île de Pamandzi. Les photographies des organismes et surtout leurs macrophotographies nous permettent déjà d’identifier au moins au niveau des Ordres, Familles et parfois des Genres ou même des Espèces, des animaux (coraux symbiotiques ou non, grandes Gorgones, éponges de grandes ou moyennes tailles, telles les éponges-tonneaux, des éponges calcaires, gros oursins, concombre-de-mer, ou étoile-de-mer, crabes ou autres crustacés, etc.), voire des algues molles ou calcifiées. Mais pour parfaire ces identifications, il faut souvent avoir en main un échantillon de ces espèces que l’on examinera sous loupe binoculaire ou même microscope électronique à balayage, et là la collecte de ceux-ci s’impose.Mais la collecte doit être avant tout respectueuse de l’environnement, de la densité de la population en place. Une fois celle-ci réalisée, l’échantillon remonté avec beaucoup de soin en surface devra être conditionné pour sa meilleure conservation pour être envoyé dans un 1er laboratoire pour un pré-tri, puis dans un 2nde, pour être identifié par des taxonomistes spécialistes (et ceux-ci ne courent pas le Monde et les Musées et Instituts ;la taxonomie, cette Science ne faisant plus guère d’émules en France !) De plus, aujourd’hui, une petite portion de chaque spécimen devra être fixée dans de l’éthanol à 90° ou conservée congelée à <-18° C pour des analyses génétiques (le fameux « bare-coding »).

Prof. M. Pichon

Le traitement et l’analyse des données se font par étapes, la première étant de réaliser un profil bathymétrique et de caractériser la nature des fonds. Il est ensuite procédé à l’inventaire de la diversité corallienne (laquelle pour des raisons de comparaisons doit aussi inclure la zone des récifs superficiels, de 0- 30/40m). Cette phase comprend généralement un volet qualitatif (présence absence des espèces) et un volet quantitatif (taux de couverture, abondance, fréquence). L’identification des espèces peut en elle-même être un processus demandant beaucoup de temps et pouvant inclure des observations au stereomicroscope, microscopie électronique et autres, ainsi que des comparaisons avec des échantillons-types des espèces, conservés dans divers muséums. En parallèle, au moment de la récolte, il est procédé à un prélèvement de tissus vivants, pour des études ultérieures, de génétique par exemple (séquençage d’ADN notamment). Cette approche permet d’aborder les aspects fonctionnels des assemblages mésophotiques.

Th. Mulochau

Dans le cadre du programme MesoMay, l’objectif est de réaliser un inventaire faunistique et de nombreux experts participent à ce programme dans le cadre de leurs travaux de recherche. Les photographies transmises sont classées et analysées par ces chercheurs et permettent de recenser les familles, genres ou espèces selon les différents phylums. Certains embranchement sont plus exigeants que d’autres et nécessitent des prélèvements pour pouvoir déterminer les spécimens à l’espèce. L’ensemble de ces données seront bancariser dans une base de données nationale BDRécif.


Suite de l'article: Biodiversité de la zone mésophotique 
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